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La légistique dans le système de l’Union européenne. Quelle nouvelle approche ? Direction : Fabienne Péraldi Leneuf
Collection « droit de l’Union européenne », Colloques, Bruylant, 2012 ISBN : 978-2-8027-3542-7 Recension Annuaire de droit de l’Union européenne 2012)
Si le terme central de « légistique » est certainement représentatif de la modernité du sujet et soulève immédiatement une saine curiosité intellectuelle, il ne révèle pas forcément au premier abord la richesse de cette approche. Sous l’apparence d’un regard technicien, en effet, ce sont des analyses de fond qui sont menées, tant il est vrai qu’en matière d’intégration européenne, le « pouvoir législatif » n’a rien d’un sujet anodin, surtout quand il s’agit de le confronter aux liens avec les intérêts privés, d’envisager son conditionnement à l’expertise, de le distinguer de la « régulation », ou de le relier à la question des droits fondamentaux. C’est, en somme, la légitimité de l’Union en tant que pouvoir public qui est mise en examen.
A un moment, les années 2000, où il n’était même pas évident que l’Union européenne puisse vraiment « légiférer » (rappelons-nous l’échec du traité constitutionnel qui tentait, sur ce point, de mettre en adéquation le mot et la chose en créant des « lois européennes »), a été lancée une politique désignée par un slogan : « mieux légiférer » dont l’importance est certainement à la mesure des critiques, méritées ou non, que nourrit classiquement l’action normative européenne. La décennie suivante s’ouvre avec un nouveau concept, celui de « réglementation intelligente ». La cause est entendue : il y a un malaise dans l’action normative européenne et les docteurs en légistique se sont donc penchés, lors de ce beau colloque organisé par Fabienne Péraldi-Leneuf, au chevet de ce malade.
Claude Blumann, en ouverture, montre bien les deux dimensions de la problématique, la « décomplexification », comme la recherche de légitimité étant bien des remèdes à des maux ou des tares classiques du système européen. Emmanuel Cartier confirme d’ailleurs que la structure même du système intégré, qu’il réduit peut-être arbitrairement cependant au mécanisme de transposition des directives, ne peut que rendre plus difficile les efforts d’amélioration de la loi, par sa complexité ou la dévalorisation de la loi interne qu’elle induit.
Certaines interventions, notamment celles d’Eleftheria Neframi et de Didier Blanc, s’attachent à proposer des analyses complètes et serrées de nouveautés procédurales issues du traité de Lisbonne, respectivement le règlement délégué et les diverses procédures législatives. Le Professeur Neframi montre ainsi que la logique du règlement délégué n’est pas purement exécutive et qu’il traduit réellement une nouvelle approche de la législation. L’analyse est complète et montre bien la dimension institutionnelle de la question, avec, en l’espèce, une Commission européenne valorisée. On le sait, l’acte législatif, en droit de l’Union, est a priori défini de façon procédurale, même si « l’attelage législatif » Parlement/ Conseil peut apparaître comme déterminant. Didier Blanc explore donc les différentes procédures législatives, spéciales comme ordinaire et montre de façon intéressante combien il peut s’agir là d’une illusion, nombre de procédures législatives spéciales faisant en réalité la part belle au seul Conseil. Pour lui, si ces procédures législatives spéciales sont spéciales, elles ne sont peut-être pas toutes vraiment législatives. Son analyse conduit plutôt à reconnaître l’efficacité de la procédure ordinaire, mais il perçoit de façon originale la participation des parlements nationaux telle que prévue par le traité de Lisbonne en tant que complexification du processus législatif européen.
Une autre communication étudie le phénomène particulier de la soft law mais dans une conception générale de l’ordre juridique de l’Union européen que l’on ne peut s’empêcher de trouver quelque peu datée.
Comme l’établit clairement Fabienne Péraldi Leneuf qui s’intéresse à la question fondamentale des liens entre la légistique et la démocratie, il existe une parenté évidente entre ces efforts légistiques et le courant de la nouvelle gouvernance européenne. La loi sera « meilleure » en étant plus adaptée, plus proche, mieux comprise des citoyens, plus accessible…On appréciera particulièrement le panorama complet qu’elle propose, distinguant les volets formel et matériel de la légistique. On le rejoindra sur tous les points, qu’il s’agisse de la responsabilisation des institutions, de l’exigence de cohérence, de la transparence, ou du souci, essentiel pour la dimension matérielle, de respect des droits fondamentaux. En revanche, nous a toujours semblé inquiétante la tranquille acceptation, par le TPI, en 1998 (arrêt UEAPME), d’une version alternative de la représentativité, c'est-à-dire le remplacement du raisonnement de l’arrêt Roquette (soulignant l’importance pour la démocratie de l’association du Parlement européen au processus décisionnel) par l’admission d’une représentativité de partenaires sociaux qui seraient associés à cette prise de décision. Certes, le modèle européen de démocratie dessiné explicitement par le traité de Lisbonne comporte les deux volets de la démocratie représentative et de la démocratie participative mais la parlementarisation du système ne nous semble pas à ce point achevée qu’elle devrait être remplacée par une démocratie économique et sociale fleurant bon les discours des années 50, car tel est bien le souhait de certains chantres de cette nouvelle gouvernance, que heurte la dimension politique de la démocratie représentative.
Bien ou mieux légiférer est une chose…encore faut-il que l’action normative assume un rôle de prévalence d’un intérêt général sur des intérêts privés pour qu’elle soit digne de ce label législatif. A cet égard, la place accordée aux intérêts privés est essentielle et deux phénomènes sont présentées et étudiés de manière savante : l’autorégulation, par Stéphane Bracq, et le rôle des agences, forme d’action de l’Union de plus en plus diversifiée, ouvrant les procédures décisionnelles de l’Union à la fois à l’évaluation des experts et à la participation des « parties prenantes », qui donne lieu à deux interventions très documentées et inspirées de Loïc Grard et Hubert Delzangles.
Cet ouvrage permet de faire un point aussi précis que stimulant sur une problématique centrale pour la démocratie européenne alors même que de nouvelles procédures, de nouvelles méthodes, ou de nouvelles conceptions entendent « soigner » l’action normative de l’Union. On s’empressera donc d’en prescrire la lecture au plus tôt…
A un moment, les années 2000, où il n’était même pas évident que l’Union européenne puisse vraiment « légiférer » (rappelons-nous l’échec du traité constitutionnel qui tentait, sur ce point, de mettre en adéquation le mot et la chose en créant des « lois européennes »), a été lancée une politique désignée par un slogan : « mieux légiférer » dont l’importance est certainement à la mesure des critiques, méritées ou non, que nourrit classiquement l’action normative européenne. La décennie suivante s’ouvre avec un nouveau concept, celui de « réglementation intelligente ». La cause est entendue : il y a un malaise dans l’action normative européenne et les docteurs en légistique se sont donc penchés, lors de ce beau colloque organisé par Fabienne Péraldi-Leneuf, au chevet de ce malade.
Claude Blumann, en ouverture, montre bien les deux dimensions de la problématique, la « décomplexification », comme la recherche de légitimité étant bien des remèdes à des maux ou des tares classiques du système européen. Emmanuel Cartier confirme d’ailleurs que la structure même du système intégré, qu’il réduit peut-être arbitrairement cependant au mécanisme de transposition des directives, ne peut que rendre plus difficile les efforts d’amélioration de la loi, par sa complexité ou la dévalorisation de la loi interne qu’elle induit.
Certaines interventions, notamment celles d’Eleftheria Neframi et de Didier Blanc, s’attachent à proposer des analyses complètes et serrées de nouveautés procédurales issues du traité de Lisbonne, respectivement le règlement délégué et les diverses procédures législatives. Le Professeur Neframi montre ainsi que la logique du règlement délégué n’est pas purement exécutive et qu’il traduit réellement une nouvelle approche de la législation. L’analyse est complète et montre bien la dimension institutionnelle de la question, avec, en l’espèce, une Commission européenne valorisée. On le sait, l’acte législatif, en droit de l’Union, est a priori défini de façon procédurale, même si « l’attelage législatif » Parlement/ Conseil peut apparaître comme déterminant. Didier Blanc explore donc les différentes procédures législatives, spéciales comme ordinaire et montre de façon intéressante combien il peut s’agir là d’une illusion, nombre de procédures législatives spéciales faisant en réalité la part belle au seul Conseil. Pour lui, si ces procédures législatives spéciales sont spéciales, elles ne sont peut-être pas toutes vraiment législatives. Son analyse conduit plutôt à reconnaître l’efficacité de la procédure ordinaire, mais il perçoit de façon originale la participation des parlements nationaux telle que prévue par le traité de Lisbonne en tant que complexification du processus législatif européen.
Une autre communication étudie le phénomène particulier de la soft law mais dans une conception générale de l’ordre juridique de l’Union européen que l’on ne peut s’empêcher de trouver quelque peu datée.
Comme l’établit clairement Fabienne Péraldi Leneuf qui s’intéresse à la question fondamentale des liens entre la légistique et la démocratie, il existe une parenté évidente entre ces efforts légistiques et le courant de la nouvelle gouvernance européenne. La loi sera « meilleure » en étant plus adaptée, plus proche, mieux comprise des citoyens, plus accessible…On appréciera particulièrement le panorama complet qu’elle propose, distinguant les volets formel et matériel de la légistique. On le rejoindra sur tous les points, qu’il s’agisse de la responsabilisation des institutions, de l’exigence de cohérence, de la transparence, ou du souci, essentiel pour la dimension matérielle, de respect des droits fondamentaux. En revanche, nous a toujours semblé inquiétante la tranquille acceptation, par le TPI, en 1998 (arrêt UEAPME), d’une version alternative de la représentativité, c'est-à-dire le remplacement du raisonnement de l’arrêt Roquette (soulignant l’importance pour la démocratie de l’association du Parlement européen au processus décisionnel) par l’admission d’une représentativité de partenaires sociaux qui seraient associés à cette prise de décision. Certes, le modèle européen de démocratie dessiné explicitement par le traité de Lisbonne comporte les deux volets de la démocratie représentative et de la démocratie participative mais la parlementarisation du système ne nous semble pas à ce point achevée qu’elle devrait être remplacée par une démocratie économique et sociale fleurant bon les discours des années 50, car tel est bien le souhait de certains chantres de cette nouvelle gouvernance, que heurte la dimension politique de la démocratie représentative.
Bien ou mieux légiférer est une chose…encore faut-il que l’action normative assume un rôle de prévalence d’un intérêt général sur des intérêts privés pour qu’elle soit digne de ce label législatif. A cet égard, la place accordée aux intérêts privés est essentielle et deux phénomènes sont présentées et étudiés de manière savante : l’autorégulation, par Stéphane Bracq, et le rôle des agences, forme d’action de l’Union de plus en plus diversifiée, ouvrant les procédures décisionnelles de l’Union à la fois à l’évaluation des experts et à la participation des « parties prenantes », qui donne lieu à deux interventions très documentées et inspirées de Loïc Grard et Hubert Delzangles.
Cet ouvrage permet de faire un point aussi précis que stimulant sur une problématique centrale pour la démocratie européenne alors même que de nouvelles procédures, de nouvelles méthodes, ou de nouvelles conceptions entendent « soigner » l’action normative de l’Union. On s’empressera donc d’en prescrire la lecture au plus tôt…
Dates
Crée le 23 janvier 2018