Actions Jean Monnet
Silvère Lefevre, Les actes communautaires atypiques
Coll. Travaux du CERIC, Bruxelles, Bruylant, 2006, 552 p., ISBN 2-8027-2232-8 (recension : Annuaire de droit européen 2006)
Il est de plus en plus difficile de trouver un sujet systématiquement abordé dans les manuels de droit général ou institutionnel de l’Union européenne et n’ayant pas encore fait l’objet d’un travail spécifique de thèse. C’était pourtant le cas des « actes atypiques » auquel Sylvère Lefèvre a consacré une recherche désormais incontournable.
Cette étude se déploie au cœur-même des instruments du droit communautaire et elle est consacrée plus particulièrement à ceux caractérisés par leur originalité. Elle permet dès lors à son auteur de faire montre des nombreuses qualités de juriste qu’un tel sujet exigeait : rigueur des approches et des démonstrations, culture juridique générale et communautaire, curiosité…Les thèmes abordés (contrôle du pouvoir discrétionnaire, hiérarchie des normes communautaires, procédure administrative non contentieuse en droit communautaire…) permettent à la thèse de dépasser un intérêt purement monographique : elle est une contribution supplémentaire à la connaissance plus complète d’aspects essentiels de l’ordre juridique communautaire, même si elle ne renouvelle pas complètement la perception même de ces questions fondamentales.
Le véritable enjeu du travail de Sylvère Lefèvre pourrait être celui de la catégorisation juridique, à deux titres.
D’abord, les actes étudiés sont tous ceux qui ne se laissent pas aisément classer dans la catégorie des actes de droit communautaire dérivé. La « vie juridique communautaire » est donc l’objet réel de cette thèse consacrée, a priori, aux « électrons libres » du droit communautaire : ce qui est atypique, hors nomenclature, hors norme, sui generis, particulier, spécial…le premier défi est donc celui du foisonnement et de l’incertitude juridique.
Ensuite, le problème est celui, encore, de la catégorisation dans la mesure où le véritable intérêt, ou l’ambition d’une telle étude pourrait être d’identifier là, peut-être, une catégorie juridique, comportant donc certains éléments d’homogénéité, ce qui permettrait de substituer une approche globale et d’identification positive à des démarches jusque-là éparpillées et foncièrement négatives (ce que ne sont pas ou pas exactement les actes atypiques .)
Ces différents défis sont relevés par l’auteur grâce à une approche en trois temps : une identification soigneuse de la notion même d’acte communautaire atypique, permettant, dans un deuxième mouvement de dégager une « clé fonctionnelle » de classification. Enfin, la troisième partie aborde le régime juridique de ces actes : l’homogénéité n’est certainement pas suffisante pour identifier un véritable « statut juridique » des actes atypiques (on notera là une mesure, une pondération de bon aloi toute imprégnée d’honnêteté scientifique) mais l’éclairage fonctionnel permet d’ordonner (et d’expliquer, ce qui est précieux autant pédagogiquement que scientifiquement) les différents éléments de leur régime juridique.
Concernant la première démarche, le soin est extrême pour étudier la notion même d’acte communautaire atypique, mais il y a ici un paradoxe : si l’étude des dimensions « acte » et « acte communautaire » est effectuée de manière particulièrement approfondie, en utilisant les éclairages apparemment opportuns (mais ne serait-ce pas qu’une apparence?) du droit des organisations internationales et du contentieux administratif, on peut avoir le sentiment que l’on est là dans un préliminaire laissant de côté la spécificité de l’objet même de la thèse ; et lorsque l’on en vient à cette dimension centrale, le caractère « atypique », on peut rester perplexe : si les mots ont un sens, un acte « atypique » se positionne par rapport à un « type » particulier, ordinaire, dont il se distingue ou auquel il ne se rattache qu’artificiellement. C’est ainsi qu’un règlement intérieur d’une institution est « atypique » par rapport au « type » du règlement…C’est là l’approche de Guy Isaac, depuis la première édition de son manuel de « droit communautaire général ». On peut rapprocher cela de la catégorie des « actes déviés » identifiés par P.-Y. Monjal (« Recherches sur la hiérarchie des normes communautaires », LGDJ, 2000, p.329). Mais ce n’est pas là l’objet de la présente étude, les actes qualifiés d’« atypiques » étant ici assimilés aux actes « hors-nomenclature ». En réalité, c’est bien là l’objet de la thèse et cette assimilation est pleinement assumée, par exemple avec le 3° chapitre de la première partie : « l’acte atypique, acte hors nomenclature ». D’ailleurs, l’organisation même de la catégorie et pas seulement l’identification se fait par rapport à ce concept d’acte hors nomenclature : page 334 par exemple (conclusion de la deuxième partie), il est expliqué que la première catégorie d’actes étudiée (actes sur le fonctionnement interne) se situe en amont de la nomenclature, alors que la deuxième (actes constituant une doctrine administrative) se situe en aval de cette nomenclature. Tel est donc bien le véritable sujet de la thèse.
L’auteur propose en deuxième partie une classification à partir d’un critère fonctionnel. Même si l’on peut parfois regretter une démarche consistant plus à vérifier l’exactitude d’un présupposé qu’à parvenir à un résultat au terme d’une démonstration, le propos est toujours intéressant et la logique en est claire. L’observation des ordres nationaux et de la pratique internationale prouve le besoin, au sein de tout système institutionnel organisé, de deux types d’actes exerçant des fonctions, d’une part, de régulation interne du système, et d’autre part d’explicitation, d’interprétation, d’auto-limitation du pouvoir discrétionnaire. Les actes de droit dérivé de la nomenclature ne permettant pas de remplir ces fonctions, sont donc apparus ces actes non prévus, la fonction appelant l’instrument en quelque sorte.
Et c’est sous cette éclairage que la thèse s’emploie courageusement à explorer dans sa troisième partie tous les pans du régime juridique de ces actes. S’il n’est pas question, on l’a dit, de prétendre identifier une seule « catégorie juridique homogène », l’ambition est quand même de présenter un régime juridique éclairé par la classification fonctionnelle. Le défi n’est pas parfaitement relevé, l’honnêteté conduisant l’auteur, souvent, à distinguer des « sous-catégories » (règlements intérieurs, accords interinstitutionnels, décisions atypiques, actes simplement interprétatifs, actes circonscrivant le pouvoir discrétionnaire...) plutôt que ses deux familles fonctionnelles, qui ne sont donc pas totalement déterminantes pour dépasser le « cas par cas ».
Pour autant, on sort de cette lecture en ayant l’impression qu’un épais taillis buissonneux du droit communautaire général a fait l’objet d’un défrichage et d’une taille sévères et si le résultat a du mal à ressembler tout à fait à un jardin à la française, c’est sans doute que la nature même de cette végétation juridique ne le permettait pas.
Cette étude se déploie au cœur-même des instruments du droit communautaire et elle est consacrée plus particulièrement à ceux caractérisés par leur originalité. Elle permet dès lors à son auteur de faire montre des nombreuses qualités de juriste qu’un tel sujet exigeait : rigueur des approches et des démonstrations, culture juridique générale et communautaire, curiosité…Les thèmes abordés (contrôle du pouvoir discrétionnaire, hiérarchie des normes communautaires, procédure administrative non contentieuse en droit communautaire…) permettent à la thèse de dépasser un intérêt purement monographique : elle est une contribution supplémentaire à la connaissance plus complète d’aspects essentiels de l’ordre juridique communautaire, même si elle ne renouvelle pas complètement la perception même de ces questions fondamentales.
Le véritable enjeu du travail de Sylvère Lefèvre pourrait être celui de la catégorisation juridique, à deux titres.
D’abord, les actes étudiés sont tous ceux qui ne se laissent pas aisément classer dans la catégorie des actes de droit communautaire dérivé. La « vie juridique communautaire » est donc l’objet réel de cette thèse consacrée, a priori, aux « électrons libres » du droit communautaire : ce qui est atypique, hors nomenclature, hors norme, sui generis, particulier, spécial…le premier défi est donc celui du foisonnement et de l’incertitude juridique.
Ensuite, le problème est celui, encore, de la catégorisation dans la mesure où le véritable intérêt, ou l’ambition d’une telle étude pourrait être d’identifier là, peut-être, une catégorie juridique, comportant donc certains éléments d’homogénéité, ce qui permettrait de substituer une approche globale et d’identification positive à des démarches jusque-là éparpillées et foncièrement négatives (ce que ne sont pas ou pas exactement les actes atypiques .)
Ces différents défis sont relevés par l’auteur grâce à une approche en trois temps : une identification soigneuse de la notion même d’acte communautaire atypique, permettant, dans un deuxième mouvement de dégager une « clé fonctionnelle » de classification. Enfin, la troisième partie aborde le régime juridique de ces actes : l’homogénéité n’est certainement pas suffisante pour identifier un véritable « statut juridique » des actes atypiques (on notera là une mesure, une pondération de bon aloi toute imprégnée d’honnêteté scientifique) mais l’éclairage fonctionnel permet d’ordonner (et d’expliquer, ce qui est précieux autant pédagogiquement que scientifiquement) les différents éléments de leur régime juridique.
Concernant la première démarche, le soin est extrême pour étudier la notion même d’acte communautaire atypique, mais il y a ici un paradoxe : si l’étude des dimensions « acte » et « acte communautaire » est effectuée de manière particulièrement approfondie, en utilisant les éclairages apparemment opportuns (mais ne serait-ce pas qu’une apparence?) du droit des organisations internationales et du contentieux administratif, on peut avoir le sentiment que l’on est là dans un préliminaire laissant de côté la spécificité de l’objet même de la thèse ; et lorsque l’on en vient à cette dimension centrale, le caractère « atypique », on peut rester perplexe : si les mots ont un sens, un acte « atypique » se positionne par rapport à un « type » particulier, ordinaire, dont il se distingue ou auquel il ne se rattache qu’artificiellement. C’est ainsi qu’un règlement intérieur d’une institution est « atypique » par rapport au « type » du règlement…C’est là l’approche de Guy Isaac, depuis la première édition de son manuel de « droit communautaire général ». On peut rapprocher cela de la catégorie des « actes déviés » identifiés par P.-Y. Monjal (« Recherches sur la hiérarchie des normes communautaires », LGDJ, 2000, p.329). Mais ce n’est pas là l’objet de la présente étude, les actes qualifiés d’« atypiques » étant ici assimilés aux actes « hors-nomenclature ». En réalité, c’est bien là l’objet de la thèse et cette assimilation est pleinement assumée, par exemple avec le 3° chapitre de la première partie : « l’acte atypique, acte hors nomenclature ». D’ailleurs, l’organisation même de la catégorie et pas seulement l’identification se fait par rapport à ce concept d’acte hors nomenclature : page 334 par exemple (conclusion de la deuxième partie), il est expliqué que la première catégorie d’actes étudiée (actes sur le fonctionnement interne) se situe en amont de la nomenclature, alors que la deuxième (actes constituant une doctrine administrative) se situe en aval de cette nomenclature. Tel est donc bien le véritable sujet de la thèse.
L’auteur propose en deuxième partie une classification à partir d’un critère fonctionnel. Même si l’on peut parfois regretter une démarche consistant plus à vérifier l’exactitude d’un présupposé qu’à parvenir à un résultat au terme d’une démonstration, le propos est toujours intéressant et la logique en est claire. L’observation des ordres nationaux et de la pratique internationale prouve le besoin, au sein de tout système institutionnel organisé, de deux types d’actes exerçant des fonctions, d’une part, de régulation interne du système, et d’autre part d’explicitation, d’interprétation, d’auto-limitation du pouvoir discrétionnaire. Les actes de droit dérivé de la nomenclature ne permettant pas de remplir ces fonctions, sont donc apparus ces actes non prévus, la fonction appelant l’instrument en quelque sorte.
Et c’est sous cette éclairage que la thèse s’emploie courageusement à explorer dans sa troisième partie tous les pans du régime juridique de ces actes. S’il n’est pas question, on l’a dit, de prétendre identifier une seule « catégorie juridique homogène », l’ambition est quand même de présenter un régime juridique éclairé par la classification fonctionnelle. Le défi n’est pas parfaitement relevé, l’honnêteté conduisant l’auteur, souvent, à distinguer des « sous-catégories » (règlements intérieurs, accords interinstitutionnels, décisions atypiques, actes simplement interprétatifs, actes circonscrivant le pouvoir discrétionnaire...) plutôt que ses deux familles fonctionnelles, qui ne sont donc pas totalement déterminantes pour dépasser le « cas par cas ».
Pour autant, on sort de cette lecture en ayant l’impression qu’un épais taillis buissonneux du droit communautaire général a fait l’objet d’un défrichage et d’une taille sévères et si le résultat a du mal à ressembler tout à fait à un jardin à la française, c’est sans doute que la nature même de cette végétation juridique ne le permettait pas.
Dates
Crée le 23 janvier 2018