Actions Jean Monnet
Edouard DUBOUT, L’article 13 du traité CE. La clause communautaire de lutte contre les discriminations
coll. Droit de l’Union européenne, Bruxelles, Bruylant, 2006, 845 p., ISBN 2-8027-2097-X. (recension : Annuaire de droit européen 2006)
L’intérêt d’une telle étude de l’article 13 TCE est évident puisqu’il s’agit à la fois de s’intéresser à un article récemment inscrit (moins de 10 ans) dans le traité instituant la Communauté européenne, qui plus est dans sa première partie (« Les principes »), mais aussi à une disposition donnant à cette Communauté une compétence, ou du moins une base juridique dans un domaine (la lutte contre les discriminations fondées sur le sexe, la race ou l’origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle) emblématique du dépassement de la vocation strictement économique de l’intégration européenne, et cela de manière très significative puisque la notion même de discrimination fait partie de celles qui ont été particulièrement développées et utilisées s’agissant de la construction et de l’achèvement du marché européen. On peut d’ailleurs réfléchir à ce type particulier de spill over qui conduit la Communauté, de manière naturelle, à utiliser les expertises qu’elle a développées dans le cadre du marché pour donner un souffle nouveau à l’intégration par une nouvelle légitimation, au moment même où cette intégration a politiquement besoin, c’est patent, d’un tel nouvel élan.
C’est dire – et Edouard DUBOUT l’a bien compris – qu’au-delà de l’action qui peut désormais se fonder sur cette base juridique, ce qui a déjà donné lieu à quelques (rares) directives (qui plus est, assez laborieusement adoptées), l’important est d’abord l’inscription même d’une telle clause d’habilitation dans le traité CE.
C’est pourquoi toute la première partie de la thèse est consacrée à mettre en évidence les dimensions et les implications de l’habilitation elle-même, alors que la seconde partie examine ensuite l’action fondée sur l’article 13 CE. La tonalité des deux parties est donc différente, la première permettant d’aborder les grandes questions de droit général de l’Union européenne, la seconde adoptant d’avantage une orientation de droit matériel.
Cela permet en tous cas à ce travail de présenter une « couverture » particulièrement large de l’ensemble du droit de l’Union européenne. Cependant, cette démarche, rejetant en deuxième partie la portée concrète de l’article 13, donne à la discussion menée en première partie une tonalité essentiellement théorique souvent bienvenue et soutenue, c’est à noter, par une culture juridique (et même plus générale) étendue, mais qui est quelque peu hasardeuse pour l’étude des « implications » de l’habilitation contenue à l’article 13, qu’il est peut-être fâcheux d’apprécier avant même d’évoquer l’utilisation qui en a été faite. On peut aussi, du fait de cette approche, avoir l’impression de retrouver les mêmes débats, sous des angles certes différents, dans les deux parties : ainsi sur la notion même d’égalité, ou sur la question des limites des compétences conférées à la Communauté .
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L’étude des dimensions de l’habilitation permet d’envisager l’article 13 sous l’éclairage des principes juridiques majeurs du droit communautaire, et E. DUBOUT tente systématiquement de tirer de ses analyses des conclusions générales inédites, que ce soit sur le terrain de l’invocabilité (distinction d’une invocabilité contentieuse et d’une invocabilité législative), de la subsidiarité (possible identification d’une subsidiarité « intracommunautaire »), ou de la problématique des compétences, la réflexion passant de la transversalité de la compétence établie par l’article 13 à la démonstration d’un dépassement des compétences communautaires.
Les « implications » de l’habilitation à agir que constitue l’article 13 permettent d’explorer deux terrains fort différents mais également passionnants. D’abord, l’article 13 serait à relier à des mutations de l’égalité, dans sa fonction (passage d’un rôle de moyen à celui de véritable objectif, ce qui permet à E. DUBOUT d’y voir le fondement d’une véritable Europe sociale) comme dans sa nature (de l’égalité des moyens à celle des fins). Mais la protection de l’égalité conduit aussi à rencontrer d’autres dimensions attendues du débat, comme les rapports entre l’ordre juridique communautaire et le droit de la Convention européenne des droits de l’homme, ou encore les rapports entre le droit communautaire et les constitutions des Etats membres, dont on conviendra qu’ils constituent une problématique majeure et très actuelle. Et l’analyse va jusqu’à proposer de voir dans l’article 13 une sorte de mandat qui serait la matérialisation d’un contrat social significatif d’une dimension constitutionnelle. Le contexte « constituant » dans lequel a été rédigée cette thèse explique sans doute ce trait mais il n’a rien d’artificiel. A cet égard, on peut noter que le traité de Lisbonne fait figurer, certes dans le traité sur le fonctionnement de l’Union et non dans le traité sur l’Union, le combat contre les discriminations à l’article 10, c’est à dire dans les « dispositions d’application générale » qui dessinent sans doute, au moins autant que la liste figurant à l’article 2 du traité sur l’Union, les caractéristiques sociétales de cette dernière, de même qu’il est valorisant en ce que l’équivalent de l’actuel article 13 TCE est inscrit à l’article 19 dans un Titre 2 du traité liant la non-discrimination et la citoyenneté de l’Union.
L’action fondée sur l’article 13 suscite deux types de démonstrations.
D’abord une analyse très approfondie de l’aménagement ainsi réalisé de l’interdiction des discriminations. Les appréciations sont suffisamment distanciées, ce qu’il faut souligner, la chose n’allant pas de soi sur un tel sujet propice au militantisme non scientifique, et permettent de parvenir à des conclusions critiques déplorant insuffisances ou ambiguïtés. Le bilan de l’apport de la législation fondée sur l’article 13 auquel l’auteur aboutit est donc finalement assez contrasté, l’aménagement de l’interdiction des discrimination par cette législation étant source de complexité et d’incohérence.
Ensuite, et à cet égard on observe une véritable montée en puissance du discours, la thèse montre en quoi la législation assise sur l’article 13 permet de dépasser la simple interdiction des discriminations, par la procéduralisation de la protection de l’égalité et par sa catégorisation. La procéduralisation du droit à l’égalité permet une réflexion sur le rôle normatif de l’Union européenne et ce qu’elle apporte dans la production et l’application du droit. La catégorisation de l’égalité s’inscrit dans des problématiques multiples, entre l’abstrait et le concret, l’universel et le pluralisme accepté et protégé en tant qu’il constituerait un véritable modèle commun d’intégration Il y a là un exercice de démonstration juridique tout à fait intéressant et révélateur des qualités scientifiques de cette thèse, lesquelles s’accompagnent d’un souci pédagogique indéniable, illustré notamment par des schémas explicatifs particulièrement éclairants.
Au final, la thèse soutient que l’article 13 serait porteur d’une politique commune de l’égalité en Europe, ce qui est une manière séduisante de montrer que cette disposition est autant une contribution à l’intégration qu’une contribution à l’égalité, la richesse des analyses liées respectivement à ces deux types de problématiques différentes et complémentaires donnant finalement la mesure de l’intérêt d’une thèse fort prometteuse
C’est dire – et Edouard DUBOUT l’a bien compris – qu’au-delà de l’action qui peut désormais se fonder sur cette base juridique, ce qui a déjà donné lieu à quelques (rares) directives (qui plus est, assez laborieusement adoptées), l’important est d’abord l’inscription même d’une telle clause d’habilitation dans le traité CE.
C’est pourquoi toute la première partie de la thèse est consacrée à mettre en évidence les dimensions et les implications de l’habilitation elle-même, alors que la seconde partie examine ensuite l’action fondée sur l’article 13 CE. La tonalité des deux parties est donc différente, la première permettant d’aborder les grandes questions de droit général de l’Union européenne, la seconde adoptant d’avantage une orientation de droit matériel.
Cela permet en tous cas à ce travail de présenter une « couverture » particulièrement large de l’ensemble du droit de l’Union européenne. Cependant, cette démarche, rejetant en deuxième partie la portée concrète de l’article 13, donne à la discussion menée en première partie une tonalité essentiellement théorique souvent bienvenue et soutenue, c’est à noter, par une culture juridique (et même plus générale) étendue, mais qui est quelque peu hasardeuse pour l’étude des « implications » de l’habilitation contenue à l’article 13, qu’il est peut-être fâcheux d’apprécier avant même d’évoquer l’utilisation qui en a été faite. On peut aussi, du fait de cette approche, avoir l’impression de retrouver les mêmes débats, sous des angles certes différents, dans les deux parties : ainsi sur la notion même d’égalité, ou sur la question des limites des compétences conférées à la Communauté .
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L’étude des dimensions de l’habilitation permet d’envisager l’article 13 sous l’éclairage des principes juridiques majeurs du droit communautaire, et E. DUBOUT tente systématiquement de tirer de ses analyses des conclusions générales inédites, que ce soit sur le terrain de l’invocabilité (distinction d’une invocabilité contentieuse et d’une invocabilité législative), de la subsidiarité (possible identification d’une subsidiarité « intracommunautaire »), ou de la problématique des compétences, la réflexion passant de la transversalité de la compétence établie par l’article 13 à la démonstration d’un dépassement des compétences communautaires.
Les « implications » de l’habilitation à agir que constitue l’article 13 permettent d’explorer deux terrains fort différents mais également passionnants. D’abord, l’article 13 serait à relier à des mutations de l’égalité, dans sa fonction (passage d’un rôle de moyen à celui de véritable objectif, ce qui permet à E. DUBOUT d’y voir le fondement d’une véritable Europe sociale) comme dans sa nature (de l’égalité des moyens à celle des fins). Mais la protection de l’égalité conduit aussi à rencontrer d’autres dimensions attendues du débat, comme les rapports entre l’ordre juridique communautaire et le droit de la Convention européenne des droits de l’homme, ou encore les rapports entre le droit communautaire et les constitutions des Etats membres, dont on conviendra qu’ils constituent une problématique majeure et très actuelle. Et l’analyse va jusqu’à proposer de voir dans l’article 13 une sorte de mandat qui serait la matérialisation d’un contrat social significatif d’une dimension constitutionnelle. Le contexte « constituant » dans lequel a été rédigée cette thèse explique sans doute ce trait mais il n’a rien d’artificiel. A cet égard, on peut noter que le traité de Lisbonne fait figurer, certes dans le traité sur le fonctionnement de l’Union et non dans le traité sur l’Union, le combat contre les discriminations à l’article 10, c’est à dire dans les « dispositions d’application générale » qui dessinent sans doute, au moins autant que la liste figurant à l’article 2 du traité sur l’Union, les caractéristiques sociétales de cette dernière, de même qu’il est valorisant en ce que l’équivalent de l’actuel article 13 TCE est inscrit à l’article 19 dans un Titre 2 du traité liant la non-discrimination et la citoyenneté de l’Union.
L’action fondée sur l’article 13 suscite deux types de démonstrations.
D’abord une analyse très approfondie de l’aménagement ainsi réalisé de l’interdiction des discriminations. Les appréciations sont suffisamment distanciées, ce qu’il faut souligner, la chose n’allant pas de soi sur un tel sujet propice au militantisme non scientifique, et permettent de parvenir à des conclusions critiques déplorant insuffisances ou ambiguïtés. Le bilan de l’apport de la législation fondée sur l’article 13 auquel l’auteur aboutit est donc finalement assez contrasté, l’aménagement de l’interdiction des discrimination par cette législation étant source de complexité et d’incohérence.
Ensuite, et à cet égard on observe une véritable montée en puissance du discours, la thèse montre en quoi la législation assise sur l’article 13 permet de dépasser la simple interdiction des discriminations, par la procéduralisation de la protection de l’égalité et par sa catégorisation. La procéduralisation du droit à l’égalité permet une réflexion sur le rôle normatif de l’Union européenne et ce qu’elle apporte dans la production et l’application du droit. La catégorisation de l’égalité s’inscrit dans des problématiques multiples, entre l’abstrait et le concret, l’universel et le pluralisme accepté et protégé en tant qu’il constituerait un véritable modèle commun d’intégration Il y a là un exercice de démonstration juridique tout à fait intéressant et révélateur des qualités scientifiques de cette thèse, lesquelles s’accompagnent d’un souci pédagogique indéniable, illustré notamment par des schémas explicatifs particulièrement éclairants.
Au final, la thèse soutient que l’article 13 serait porteur d’une politique commune de l’égalité en Europe, ce qui est une manière séduisante de montrer que cette disposition est autant une contribution à l’intégration qu’une contribution à l’égalité, la richesse des analyses liées respectivement à ces deux types de problématiques différentes et complémentaires donnant finalement la mesure de l’intérêt d’une thèse fort prometteuse
Dates
Crée le 23 janvier 2018